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Le classement, si naturel soit-il, ne souffle mot des moyens d'accès possibles à l'arborescence qui en résulte. Pour y avoir accès, il faut, en plus, un objet précis sur lequel on veut être renseigné, et une ou deux questions à poser. Si les questions découlent de l'arborescence, alors la procédure peut être simple et anodine. Autrement, la procédure doit incorporer une nouvelle arborescence de questions faite selon d'autres critères et qui peut être de forme dissemblable.

Qui veut savoir et quel est son objet? Voilà les deux questions fondamentales posées par Lamarck et Bonnier. Il semble à peu près certain aujourd'hui que les arborescences de questions n'ont pas les mêmes propriétés que les arborescences de réponses. Bonnier introduit un concept radical : les arborescences de questions s'attachent autant aux personnes qu'à leurs objets. Nous voulons "savoir" ou "être savants". A l'extrême limite, chacun de nous possède sa propre arborescence de questions, indépendamment de nos objets. Formuler un hypertexte, c'est affirmer qu'une certaine arborescence de questions peut être utile au public parce qu'elle a acquis des contours précis et faciles à appréhender. L'art de poser les questions est distinct de l'art d'y répondre.

Diderot ne contredit pas cela. Le Système figuré est avant tout une question, bien matériellement, parce que l'ouvrage référencé n'existe pas encore au moment où il est écrit. L'Encyclopédie est une chose, selon Diderot, qu'un philosophe du XVIIIè est particulièrement apte à formuler. Dire que le XVIIIè est le siècle des arborescences monstrueuses, c'est donc paraphraser Diderot. Faisant état de la pérennité de son ouvrage et de l'immortalité de son nom, Diderot n'engage pas que sa vanité. On entrevoit autre chose. Le Système figuré est devenu pour nous un bien précieux, peut-être justement parce que le XVIIIè est le dernier "siècle philosophe" en date et que rien n'est donc venu, depuis, pour prendre la place de ce Système. Quand Diderot parle de finir ce qu'il a commencé, tout en admettant qu'il faudra quelques siècles pour affiner la substance des articles de l'Encyclopédie, je l'entends très distinctement parler de formuler les questions, plutôt que les réponses. Diderot recule avec effroi devant l'idée de l'Encyclopédie inachevée. Il ne conçoit l'ouvrage que pénétré de sa vision de l'univers, et je crois que son immortalité même ne se conçoit que philosophiquement. 'Nous avons, semble-il dire, une vision claire des choses et nous désirons la rendre publique'. Il est vrai que si l'on ne donne qu'une partie de la vision, elle a peu de chances d'être encore claire.

Quelles choses? Les choses qui sont indiquées dans la liste (L'Encyclopédie). Certaines choses sont mieux traitées que d'autres. Diderot mentionne à ce titre la nécessité de trouver un équilibre entre le poids de l'article et le nombre de renvois. L'article fait uniquement de renvois ne vaut rien: On rendrait les articles "secs et appauvris (...) si l'on en excluait beaucoup d'objets qu'il n'était pas impossible d'en séparer".

C'est encore Bonnier qui résoud ce problème d'équilibre pour ses besoins propres. Il suffit d'inclure des questions dans une partie, et de tout exclure, sauf des affirmations, dans une autre. Les deux parties sont connectées par un réseau flou qui appartient formellement à la première et où on passe progressivement de l'une à l'autre. Chez Bonnier, le nombre d'espèces précises par page est de zéro dans les premières pages que l'on traverse et augmente subitement dans les pages qu'on atteint en fin de détermination. Quand nous tenons l'espèce, il n'y a plus de questions et plus de renvois. Nous sommes tout au plus envoyés dans une planche en couleurs où les renvois cessent tout à fait. C'est une trappe. La planche en couleurs est classée selon Linné et les renvois n'ont plus de sens puisque tout y est de l'ordre de la réponse. On connaît la boutade: 'les animaux, c'est un truc inventé par les plantes pour transporter les graines'. Similairement, le texte, chez Bonnier, c'est 'un truc inventé par les planches en couleurs pour trouver les images'.

Pour Lamarck, le renvoi est strictement lié à l'idée de question. Pour Diderot, qui ne se réfère pas à un système naturel, le renvoi est surtout une affaire de style. Ce n'est pas une perfidie de ma part de souligner qu'en l'absence de système naturel, on n'a que le plaisir pour guide.


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