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Mais les idées représentées sous les titres "Problématique Lamarckienne" et "L'art de la question" sont peut-être à la fois trop spécifiques et trop vagues pour nous être vraiment utiles. Trop spécifiques, elles ne s'appliqueraient pas sans aménagements majeurs à d'autres problèmes. Trop vagues, elles ne seraient qu'une laborieuse supercherie. Pour le savoir, il faut se résoudre à les placer dans l'ordinateur tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Un jeu de clefs lamarckiennes pures, c'est à dire ne comprenant que des questions qui conduisent soit vers de nouvelles questions, soit vers une réponse ferme et définitive située derrière une trappe, c'est précisément ce qu'on nomme aujourd'hui un système expert ou, abusivement sans doute, l'intelligence artificielle. Donner un nom aussi prétentieux à une technique qu'on croit nouvelle et qui s'avère par la suite vieille de deux siècles a quelque chose d'un peu sinistre, mais, ça, c'est peut-être mon problème.

L'expert répond à une question : comment un philosophe du XVIIIè digne de ce nom s'y prendrait-il pour...? Comment un naturaliste digne de ce nom s'y prendrait-il pour...? Dans les deux cas, nous voyons des gens courageux mais tout de même écrasés par le poids des responsibilités qu'ils croient leurs. C'est aussi le cas chez tous ceux qui développent encore des systèmes experts aujourd'hui. Alors on se pose encore une nouvelle question : faut-il croire que, si Diderot et Lamarck avaient disposé d'ordinateurs, ils auraient mis autant de temps à réaliser leurs ouvrages respectifs? Je le crois. Le facteur limitant ici, c'est la machinerie de l'esprit humain avec ses étroites fenêtres sur le monde. Il n'est pas démontrablement plus rapide d'introduire les données produites par l'esprit dans un ordinateur que de les marquer sur une feuille de papier. L'accès est plus immédiat, ensuite, quand la chose est finie, mais la construction initiale du Système demande toujours les mêmes qualités humaines qui sont le sacrifice, l'archarnement, la patience et la générosité. Nous avons tous la générosité. On ne se bouscule pas exactement aux portillons pour aller faire preuve des autres qualités voulues. Mais ça, c'est pour nous un lieu commun.

Concrètement, tout un chacun peut réaliser un développement plus modeste. Si vous plantez depuis 40 ans des rosiers, nous serions ravis si vous pouviez trouver le temps de nous dire ce que vous avez découvert tout au long de votre expérience. Ça vous semblerait peut-être peu de chose, mais ce serait pour nous précieux. S'imposer une matière bien délimitée permet d'en finir dans un délai raisonnable. Si j'écris tout ce que je sais sur la baseball, par exemple, je n'en ai pas pour longtemps parce que je ne sais pas grand chose. Peu importe le poids, ou l'inconséquence peut-être, de l'expertise qu'on apporte, du moment qu'on répond à la question qu'on se pose. Si on a l'impression qu'une vie ne suffirait pas à répondre, alors on s'est peut-être posé la mauvaise question.

Nous avons l'espoir que le web tiendra sa promesse en matière d'édition coopérative. En effet, il est théoriquement possible pour nous de réaliser en peu d'années une encyclopédie millénaire dont Diderot ne pouvait même pas rêver. Si chaque internaute écrivait un article de 200 mots sur un sujet bien précis, l'affaire serait même réglée en quelques minutes. Seulement, voilà! la rédaction par comité n'apporte jamais des résultats rapides, voire même satisfaisants. Ainsi, nous ne sommes plus vraiment dans une problématique de réalisation. Le web est déjà d'une certaine façon notre encyclopédie millénaire. Seulement, il est encore difficile d'y trouver des réponses utiles. Nous avons surtout un problème d'utilisation et de consultation. Il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que je dise qu'en l'absence de meilleures méthodes, celles de Lamarck et de Diderot s'appliquent toujours. On ne peut pas dire que ces méthodes aient acquis des contours qui les rendent seulement propres aux grandes tâches. Il va presque de soi qu'on peut les appliquer avec bonheur aux petites tâches qui seront désormais les nôtres.


Clefs: 
Diderot
Lamarck

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