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L'étude immédiate

de la consonance


Ceci est essentiellement le journal ou "cahier de laboratoire" qui a accompagné le développement du programme servant à fabriquer le dessin de la page précédente. J'adopte cette forme non seulement parce que je n'ai pas consacré tout le temps nécessaire au nettoyage de la narration (j'en ai passé un peu quand même !) mais surtout parce que les formules que j'ai trouvées ne sont certainement pas les seules possibles ou les meilleures. Elles sont le résultat d'une démarche.


Table

La nature du ton

Les tableaux de gammes

Généraliser la gamme aux intervalles continus

Annexes


La nature du ton

Le ton de l'instument à cordes est caractérisé par un spectre discontinu. Les lignes du spectre sont formées par les harmoniques, c'est à dire une fréquence fondamentale (la plus grave) et une série de fréquences multiples entières de la fondamentale.

Ceci semble assez mystérieux de prime abord. Cependant, c'est une propriété naturelle des objets de forme et de densité régulières et beaucoup plus longs que larges. C'est le cas de la corde à sauter. C'est le cas aussi de la colonne d'air qui vibre dans une flûte. Quand on tire sur une corde et qu'on la lache, elle produit une vibration de hauteur constante et qui dure un certain temps. Cette vibration spontanée de la corde dépend très peu de l'endroit où on la saisit pour la tirer latéralement plus ou moins fort: elle dépend seulement de l'épaisseur, de la masse, de la tension initiale et de la longueur.

Considérons maintenant une table de bois sur laquelle on pose un diapason en mouvement. La table vibre audiblement à la même fréqunce que le diapason. Il est donc possible de forcer un objet quelconque à vibrer selon une fréquence quelconque. Dès qu'on enlève le diapason, la vibration de la table cesse immédiatement. Elle n'est pas spontanée. Elle n'est pas caractéristique de la table.

Pour avoir une vibration spontanée, durable et de hauteur constante, l'objet doit pouvoir se déplacer selon une trajectoire stable. Ceci se traduit par une onde stationnaire. La corde tendue ayant deux points fixes, l'onde stationnaire la plus lente traduit un mode de vibration avec un déplacement maximum ou ventre de vibration au milieu de la corde. Une autre onde stationnaire se produit avec un point fixe supplémentaire au centre de la corde et deux ventres au milieu de chaque moitié. Une autre encore se produit avec des points fixes aux tiers de la longueur de la corde etc. On vérifie cela en faisant sonner les harmoniques effleurées de la corde. Or la fréquence audible de la corde vibrant avec un point fixe en son milieu est le double de celle de la corde vibrant sur toute sa longueur. La fréquence de la corde vibrant par tiers est le triple. Et ainsi de suite. Comprenons intuitivement que, pour une corde parfaitement homogène, les seules ondes stables sont de cette nature-là ! On peut aisément vérifier ceci pour diverses épaisseurs, longueurs et tensions.

harmoniques effleurées

Chose beaucoup plus difficile à mettre en évidence et que nous pouvons simplement admettre, la vibration qu'on entend réellement est la résultante de toutes les vibrations issues des différents modes possibles. Autrement dit, le ton qui, à l'audition, ressemble au "la" de fréquence 440 Hz comprend aussi des résonances à 880 Hz, 1320 Hz, 1760 Hz etc.

Si vous aimez la physique, vous trouverez une abondance de documents à ce sujet référencés sous "analyse harmonique" et "analyse de Fourier". Pour les applications à la musique, cherchez d'abord sous "Helmholtz".


La détection et la mesure

On peut mesurer en première approximation l'amplitude de la vibration globalement comme une tension mécanique qui se traduit facilement en tension électrique ou voltage de sortie d'un pickup ou autre capteur courant. Cette tension varie avec le temps. La "résultante des vibrations" se traduit par une somme algébrique de tensions.

La tension effective à un instant précis A(t) est

A(t) = A1(t) + A2(t) + A3(t) etc.

où A1 est la contribution de l'harmonique fondamentale, A2 celle de l'harmonique de fréquence double, A3 celle de l'harmonique triple etc.

Les détails du calcul ne nous intéressent pas vraiment. Ce qui serait tout de même intéressant serait de savoir le poids relatif de chaque contribution. C'est du profil des poids que dépend le timbre de l'instrument. Sachons que ce profil du spectre varie considérablement d'un instrument à l'autre. On ne peut pas le prévoir mais on peut le mesurer.

La supposition sur laquelle repose la théorie de l'harmonie musicale issue de l'analyse de Fourier est simplement que le poids décroît avec le degré harmonique. Pour l'onde en dent de scie souvent étudiée dans la synthèse des sons, le poids de chaque harmonique est inversement proportionnel au degré. Pour une fondamentale (degré 1) de poids 1, l'harmonique de fréquence double (degré 2) a pour poids 1/2, l'harmonique de fréquence triple (degré 3) a pour poids 1/3 etc. Il n'y a aucune raison d'attendre ce motif du timbre réel de la guitare. Le modèle présenté ici suppose néanmoins que le poids des harmoniques décroît d'une manière analogue quand le degré augmente. C'est un choix qui a l'avantage de la simplicité. Le fait de limiter certains calculs aux premiers degrés harmoniques traduit aussi cette supposition.

[ Remarque: on peut prétexter que leur poids diminue pour ôter les harmoniques hautes du spectre dans un premier temps pour simplifier mais on ne peut pas les ignorer à l'audition. Citons à ce propos un cas d'école de l'analyse harmonique musicale. On peut facilement vérifier qu'une guitare électrique parfaitement harmonieuse avec un son clean semble tout à fait déréglée avec un son saturé. Et il ne suffit pas de noter que le son devient "sale" ! Il faut préciser que le poids de la seconde harmonique diminue par rapport à la troisième. Et plus il y a de la saturation et plus les harmoniques paires diminuent d'intensité. C'est ce phénomène qui explique pourquoi on joue rarement des accords avec un son saturé. Cet usage tend à suggérer un rapport entre l'harmonie de la guitare et l'atténuation progressive des harmoniques hautes. ]


La modélisation

Il paraît évident qu'un modèle d`harmonie doit comporter une série de Fourier. Je réduis d'abord cet objet à une forme plus simple, la progression:

1 1/2 1/3 etc.

Dans la pratique logicielle, une forme encore plus simple s'impose:

1 2 3 etc.

Il s'agit de compter jusqu'à tant. C'est une opération de base pour le programme d'ordinateur tout comme la multiplication l'est pour l'arithmétique. Assimiler cela à une série de Fourier, c'est considérer que le choix du système de numération est significatif. Autrement dit, compter les entiers positifs dans l'ordre à partir de 1, c'est ici le modèle d'une information qui serait apportée par la corde dans une mesure réelle.


La nature chaotique de l'accord

Le propos peut-être original de cette étude est de représenter la qualité chaotique ou fractale de l'harmonie. Pas plus mathématicien que je ne suis physicien, je me contente d'abord de réaliser des tableaux explicites à partir de gammes courantes simples. Ces tableaux pourraient servir immédiatememt à la synthèse de sons.

Il me semble que les théories de la musique tonale sont souvent marquées par l'espoir d'y trouver une certaine rationalité. Or il me semble aussi que le charme particulier de l'harmonie réside dans l'imperfection de ses rapports. Je tire d'abord de cette étude la conviction qu'il n'y a aucun sens plausible que je puisse honnêtement donner à l'idée de "perfectible" en ce qui concerne les rapports harmoniques. Je montre ici que la "perfection" de l'accord est une idée fausse qui ne résulte que d'une appréciation hâtive d'un rendu grossier des consonances réelles. Une image un peu plus nette de la consonance révèle une réalité très différente qui exige plus d'instinct d'aventure que de sens rationnel.


Modéliser la consonance en tant que phénomène auditif

Tous les accords courants que nous jouons sont caractérisés par diverses imperfections harmoniques. L'accord diatonique dit "parfait", par exemple, ne l'est pas. Ses harmoniques de faible degré s'accordent mais il suffit de monter dans l'échelle des degrés pour en trouver qui ne s'accordent pas. Le développement des gammes diatonique, par quartes et à tempérament égal procède de la volonté de repousser le plus loin possible le point où le désaccord se manifeste ou encore de réduire l'ampleur du désaccord.

Le motif selon lequel les imperfections se placent dans le spectre est une caractéristique de la combinaison de deux tons différents. Ce motif comprend des consonances, c'est à dire des rencontres de fréquences harmoniques beaucoup moins écartées que ne le sont les deux tons dont elles sont issues. La combinaison de deux harmoniques très proches se traduit par des battements audibles. Plus les harmoniques se rapprochent et plus la vitesse du battement tend vers zéro. Le but de cette analyse est de dessiner ce motif dont les contours nous sont si familiers à l'audition.

J'attire tout de suite votre attention sur le flou qui s'insinue dans l'esprit avec des mots comme "plus", "moins", "très" et "beaucoup".

Les harmoniques à 440 et 441 Hz se combinent avec des battements audibles vers 1 Hz. Les harmoniques "très" éloignées, disons, à 440 et 660 Hz, se combinent sans effet notable.

Le mot "notable" souligne le fait que, pour combattre le flou, nous allons cultiver certaines perceptions et adhérer à certaines idées. Or les perceptions de l'harmonie tonale sont celles d'un chaos inoffensif et néanmoins inextricable. J'ai tendance à croire que la qualité "difficile à cerner" de la consonance est source de musicalité.

Il y aurait plusieurs types de consonance plus ou moins subjectifs

stable ou parfaite Deux harmoniques différentes provenant de cordes différentes ont des fréquences identiques et sont confondues à l'audition. L'identité théorique se réalise toujours par un "rien" d'instabilité indescriptible.
presque stable Deux harmoniques ont des fréquences assez proches pour qu'on entende une seule fréquence qui bat lentement vers 1 Hz. Pratiquement, pour des tons de faible durée, celle-ci ne se distingue pas de la consonance stable.
instable paisible Les battements aux environs de 1-5 Hz produisent une ondulation d'amplitude d'une fréquence constante semblable au trémolo de la flûte.
instable nerveuse Les battements aux environs de 5-20 hz produisent un gazouillis. Pour les premières harmoniques, la fondamentale et l'octave, cette consonance est associée au mauvais réglage de l'instrument. Pour les plus hautes, elle est d'assez faible amplitude pour ne pas dominer l'audition.
éloignée Les battements plus rapides que 20 Hz sont confusément ressentis. Mais,en même temps que l'écart grandit, la sensation de n'entendre qu'un seul ton disparaît rapidement quand l'écart dépasse le quart de ton.

Ces catégories sont on ne peut plus floues et concernent en premier lieu les harmoniques de faible degré des tons graves du registre de la guitare. Les fréquences de battements augmentent avec les fréquences des harmoniques et toutes les instabilités gagnent en nervosité. Les tons aigus et les harmoniques hautes perdent aussi en amplitude de même que leurs battements et on les remarque de moins en moins.

Cette première approche de la consonance est compatible avec certainses faits et suppositions concernant l'audition tonale.

  • La grande encyclopédie Larousse affirme que l'organe de Corti (l'oreille interne) discerne les fréquences. Son principe physique serait la disposition en grille très régulière de terminaisons nerveuses à la surface d'une spirale creusée dans l'os. C'est le capteur du système auditif.
  • Les réverbérations sur une surface dure en forme de pavillon spiral semblent produire l'effet d'une élimination progressive des aigues vers le centre de la spirale. J'ignore tout de l'explication du phénomène mais il me semble qu'il doit s'agir de l'inverse de ce qui se passe quand on place un coquillage près de l'oreille. On entend un son dû apparemment à la seule agitation thermique, qu'on n'entend pas d'habitude. La spirale en calcaire produit un son très audible et qu'on ne peut pas s'empêcher de rapprocher du son tonal.

    Plus les fréquences harmoniques se rapprochent dans cette plage et plus elles ont de chances d'être confondues par l'organe de Corti. On entendrait ainsi des battements et d'autant mieux qu'ils sont lents.

    Plus les fréquences s'élèvent et s'éloignent de cette plage et moins elles pénètrent dans l'organe et moins elles provoquent de réponse.

  • La grande encyclopédie Larousse mentionne aussi la possibilité d'envoyer des fréquences de 20 jusqu'à 2000 Hz directement dans le tissu nerveux. Les contraintes énergétiques imposent un plafond aux fréquences des ondes stationnaires transmises au tissu nerveux.
  • On peut imaginer que ces fréquences soient exploitées par comparaison avec les ondes stationnaires "internes" liées à "l'horlogerie nerveuse".

    Les opérations "logicielles" concernent deux sortes de données: le spectre directement encodé par l'organe de Corti et le son lui-même. On peut imaginer que le tissu nerveux, partant du son lui-même, puisse effectuer des opérations analogues à l'analyse spectrale électronique. Le cerveau disposerait ainsi de deux sortes de spectres avec des plages utiles différentes. Les rapports entre ces deux types d'information sont étroits et leurs opérations sont fines et faciles pour un ordinateur. Je ne vois pas pourquoi le tissu nerveux serait ainsi équipé sinon pour se rendre maître absolu de l'analyse spectrale.

    La réalité des opérations logicielles serait confirmée par l'existence de "l'oreille musicale" qui est apprise par l'entrainement.

    La perception directe par l'organe de Corti et les perceptions "analytiques" favoriseraient toutes les deux la détection des consonances avec les harmoniques de basse fréquence. Et quelle que soit la méthode réellement utilisée pour séparer les fréquences, les "battements audibles" concerneraient en premier lieu les fréquences trop proches pour être discernables. Autrement dit, la fréquence de ces battements devrait aussi être basse.

    Nous allons voir que ces quelques indications données par un ouvrage de référence s'accordent assez bien avec l'usage musical.


    Les tableaux de gammes

    Les gammes théoriques courantes ont des comportements différents. Il est relativement aisé de les étudier directement en parcourant les harmoniques. J'en détaille trois qui se distinguent d'abord par leur principe de construction. Chacune présente des avantages et des incovénients qu'il s'agit de mettre en évidence.

    Construction Avantages Inconvénients
    tempérée
    • se transpose sans limites
    • ne présente que des instabilités paisibles dans le registre de la guitare
    • ne produit aucune consonance parfaite
    par quintes
    • produit quelques consonances parfaites
    • se transpose dans certaines conditions
    • produit quelques consonances instables
    idéale* ou diatonique
    • produit le plus possible de consonances parfaites
    • produit beaucoup de consonances très instables
    • ne se transpose pas

    *Le mot est de Jean-Jacques Rousseau qui déplorait l'absence dans l'usage de son temps de la gamme "idéale". Nous considérons actuellement que les innombrables façons de jouer une harmonie un peu fausse représentent au contraire un bac à sable où on retourne toujours avec le même plaisir. Je préfère le terme, peut-être inexact, de "gamme diatonique" pour la construction envisagée ici.

    Il faut sans doute préciser que les problèmes posés par les gammes ne concernent pas immédiatement le chant. En effet, le chanteur n'est pas tributaire d'une gamme pré-établie qu'un facteur d'instruments aurait conçue pour lui. Il place sa note où il veut et rien ne l'empêche à aucun moment dans sa musique de se rapprocher autant qu'il veut du point chaud de son choix. Vu le motif de désordre formé par les points chauds, il est juste possible que le chanteur choisisse de s'en éloigner - pourquoi pas ?


    La construction rationelle des gammes et les nombres premiers

    La gamme de référence pour le guitariste est la gamme dite "chromatique à tempérament égal". Les fréquences fondamentales de ses tons successifs sont proportionelles à:

    2^(0/12) 2^(1/12) 2^(2/12) 2^(3/12) etc.

    La gamme de référence pour le pianiste est la gamme chromatique des quintes (ou des quartes, musicalement équivalente). Ses facteurs successifs sont:

    (3/2)^0 (3/2)^1 (3/2)^2 (3/2)^3 etc.

    Une gamme dite "idéale", "naturelle" ou "diatonique" fait intervenir les facteurs 3/2 et 5/4. Une formule complexe. Il n'y a pas de facteurs successifs puisqu'il y a plusieurs options de calcul (j'en choisirai arbitrairement une que je détaillerai plus loin).

    (3/2)^0 (3/2)^1 (3/2)^2 (3/2)^3 etc.
    (5/4)^0 (5/4)^1 (5/4)^2 (5/4)^3 etc.

    Clef des tableaux
    Tous les tableaux qui suivent ont le même format.
    accord le nom de l'accord en notation standard
    gamme temp=chromatique tempéré, quar=quartes, diat=diatonique
    T1 degré tempéré du premier ton de la consonance, ex. 5=fa, 0=do
    H(T1) harmonique consonante du premier ton, ex. 1=fondamentale, 2=octave
    T2 Degré tempéré du deuxième ton de la consonance
    H(T2) harmonique consonante du deuxième ton
    freq facteur donnant la fréquence: fréquence=freq*110*2^(3/12) Hz
    rapport Le rapport entre les deux fréquences, ex. 1=consonance stable, 1.030=quart de ton
    fre. bat. estimation de la fréquence des battements en Hertz (Hz) dans le registre de la guitare, ex. 0=consonance stable

    Comparaison de quelques accords dits "parfaits" pour les trois gammes

    Extrait du Tableau des accords jusqu'à la 10iè harmonique 
    accord        gamme   T1  H(T1) T2  H(T2)  freq    rapport  fre. bat.
    Fa             temp    5    3    0    4   4.0000   1.0011   0.5919
    Fa             temp    9    3    0    5   5.0000   1.0091   5.9900
    Fa             temp    9    4    5    5   6.6742   1.0079   6.9844
    Fa             temp    5    6    0    8   8.0000   1.0011   1.1838
    Fa             temp    9    6    0   10  10.0000   1.0091  11.9799
    Fa             temp    9    7    5    9  11.7725   1.0205  32.1725
    Fa             temp    9    8    5   10  13.3484   1.0079  13.9688
    Fa             diat    5    3    0    4   4.0000   1.0000   0.0000
    Fa             diat    9    3    0    5   5.0000   1.0000   0.0000
    Fa             diat    9    4    5    5   6.6667   1.0000   0.0000
    Fa             diat    5    6    0    8   8.0000   1.0000   0.0000
    Fa             diat    9    6    0   10  10.0000   1.0000   0.0000
    Fa             diat    9    7    5    9  11.6667   1.0286  44.8501
    Fa             diat    9    8    5   10  13.3333   1.0000   0.0000
    Fa             quar    5    3    0    4   4.0000   1.0000   0.0000
    Fa             quar    9    3    0    5   4.9944   1.0011   0.7385
    Fa             quar    9    4    5    5   6.6591   1.0011   0.9847
    Fa             quar    5    6    0    8   8.0000   1.0000   0.0000
    Fa             quar    9    6    0   10   9.9887   1.0011   1.4771
    Fa             quar    9    7    5    9  11.6535   1.0297  46.6732
    Fa             quar    9    8    5   10  13.3183   1.0011   1.9694
    
    Le battement le plus rapide est toujours atteint dans ce premier tableau pour la 7iè harmonique. L'écart est de l'ordre du quart de ton et serait intolérable s'il n'y avait pas de bien meilleures consonances entre harmoniques plus basses et donc plus fortes pour la même conbinaison de tons. Le fait même qu'une seule paire de tons donne diverses consonances prouve que la quête de l'harmonie parfaite est vaine: quel que soit le placement précis d'un ton par rapport à l'autre dans le voisinage d'un intervalle, l'obtention d'une consonance parfaite quelque part entraine inéluctablement une instabilité ailleurs dans le spectre. Il n'y a pas de choix de tons "objectivement" justes pour un accord.

    Les harmoniques 11, 13, 17, 19 etc. sont arbitrairement exclues du tableau mais elles introduisent comme la 7 des instabilités très nerveuses.

    Les harmoniques 8, 9 et 10 ont les caractéristiques paisibles attendues pour 2*2*2, 3*3, et 2*5.

    Les harmoniques supérieures à 6 seront ignorées dans le prochain tableau. Leurs sources et causes sont identifiées: celles qui sont des nombres premiers battent nerveusement et celles qui sont multiples déclinent trivialement des consonances déjà observées.

    Extrait du Tableau des consonances jusqu'à la 6iè harmonique [ Remarque : la 6è harmonique ne manque ici que parce qu'elle ne produit aucune consonance selon le protocole adopté pour la synthèse et non parce qu'elle n'est pas considérée. ]

    accord        gamme   T1  H(T1) T2  H(T2)  freq    rapport  fre. bat.
    Fa             temp    5    3    0    4   4.0000   1.0011   0.5919
    Fa             temp    9    3    0    5   5.0000   1.0091   5.9900
    Fa             temp    9    4    5    5   6.6742   1.0079   6.9844
    Fa             diat    5    3    0    4   4.0000   1.0000   0.0000
    Fa             diat    9    3    0    5   5.0000   1.0000   0.0000
    Fa             diat    9    4    5    5   6.6667   1.0000   0.0000
    Fa             quar    5    3    0    4   4.0000   1.0000   0.0000
    Fa             quar    9    3    0    5   4.9944   1.0011   0.7385
    Fa             quar    9    4    5    5   6.6591   1.0011   0.9847
    
    Les harmoniques supérieures à 6 sont cruciales pour le timbre et il ne serait pas souhaitable de les éliminer d'une synthèse. Je les retire seulement du tableau consacré spécifiquement aux rapports entre combinaisons "ordinaires" de tons et consonances.

    Si nous nous en tenons aux seules harmoniques servant à définir la gamme diatonique et à leurs multiples, les triades parfaites sont parfaitement consonantes. Tout se passe comme si les multiples n'apportaient aucune information nouvelle à l'harmonie. Pour une gamme donnée, l'apparition de nouveaux frottements rapides coincide avec l'introduction d'une harmonique dont le degré est un nombre premier qui n'intervient pas dans la définition de la gamme. Nous l'avons constaté dans la gamme diatonique pour l'harmonique 7.

    La gamme des quartes se construit avec les nombres premiers 1,2 et 3. La gamme des quintes en donne la formule la plus directe: (3/2)^n. La formule des quartes est (2^2/3)^n. Les gammes produites par les deux formules sont rigoureusement identiques puisque les formules sont l'inverse l'une de l'autre à l'octave près. Cette fois, c'est l'harmonique 5 qui introduit des nouveaux frottements.


    La multiplicité des gammes

    Extrait du Tableau des consonances jusqu'à la 6iè harmonique
    
    

    accord gamme T1 H(T1) T2 H(T2) freq rapport fre. bat. Do temp 7 2 0 3 2.9966 1.0011 0.4434 Do temp 4 4 0 5 5.0000 1.0079 5.2324 Do temp 7 4 0 6 5.9932 1.0011 0.8868 Do temp 7 5 4 6 7.4915 1.0091 8.9748 Do diat 7 2 0 3 3.0000 1.0000 0.0000 Do diat 4 4 0 5 5.0000 1.0000 0.0000 Do diat 7 4 0 6 6.0000 1.0000 0.0000 Do diat 7 5 4 6 7.5000 1.0000 0.0000 Do quar 7 2 0 3 2.9596 1.0136 5.3541 Do quar 4 4 0 5 4.9944 1.0011 0.7385 Do quar 7 4 0 6 5.9192 1.0136 10.7083 Do quar 7 5 4 6 7.3991 1.0125 12.2499

    Il n'y a qu'une seule gamme à tempérament égale pour un ton de départ donné.

    Il y aurait autant de gammes des quartes que de tons de départ. Constatons que la variante utilisée ici serait particulièrement pénible pour qui voudrait jouer do majeur ! Les accords de cette gamme ne se transposent pas simplement puisque chacun a des consonances particulieres.

    La gamme diatonique se construit avec les nombres premiers 1,2,3 et 5. Il n'y a peut-être pas mille facons de remplir les demi-tons mais il y en a certainement plusieurs [selon ce critère qui défend mystérieusement l'utilisation de nombres premiers supérieurs à 7 ainsi que toute opération autre que la multiplication ou la division ] !

    On pourrait en principe généraliser la construction diatonique pour obtenir tous les demi-tons. On construirait l'intervalle (5/2^2) sur les intervalles (3/2) successifs :

    do mi sol si ré fa# la do# mi sol# si mib fa# sib do# fa sol# do mib sol sib ré fa la (do)

    L'inconvénient de cette construction est évidemment le dédoublement de chaque ton. Le moyen ordinaire d'éviter l'obstacle est de s'en tenir aux 7 tons de la gamme diatonique que nous connaissons bien. On peut aussi former une gamme diatonique étendue arbitraire. Par exemple :

    do# a pour tierce fa
    sol# a pour tierce do
    mib a pour tierce sol
    fa# a pour quarte si
    sib a pour quinte fa


    Les gammes et la transposition

    Les accords de la gamme de tempérament égal se transposent simplement. Tous les accords d'une même famille (les accords parfaits par exemple) ont exactement le même timbre. C'est l'origine tangible de la sensation de platitude ressentie par le musicien habitué à la gamme des quartes quand il entend des accords de tempérament égal.

    Mais l'apparente richesse des gammes construites sur l'harmonique 3 n'est en fait que le reflet compliqué d'un simple défaut. Une harmonie qui "marche" dans une gamme de quartes doit toujours garder sa tonalité si elle ne veut pas risquer de "frotter où il ne faut pas".

    L'ultime avantage du tempérament égal pour la guitare d'accompagnement est de laisser les autres voix se placer librement: c'est infiniment plus important pour la musique que la perfection de quelques consonances instrumentales. Les "imperfections" du tempérament égal, comme par compensation, sont particulièrement paisibles. Beaucoup de difficultés rencontrées dans le solfège classique se trouvent associées aux imperfections particulièrement rugueuses des accords de la gamme des quartes. En jouant à tempérament égal, on élimine d'un seul coup un grand nombre de phénomènes troublants et d'explications obscures et sinueuses. Contrairement à la guitare, le piano ne peut transposer librement pour s'adapter à un registre de voix particulier.


    La guitare a-t-elle vraiment le tempérament égal ?

    En réalité, aucun de ces modèles ne convient exactement à la guitare. On peut certes accorder la guitare à tempérament égal mais on peut aussi choisir un accord mixte. Seul le manche de la guitare est obligatoirement égal. Rien n'empêche d'espacer les cordes à vide selon les quartes. C'est en partie l'origine de différences audibles du timbre entre deux réglages courants:
    guitare espagnole moderne
    mi   la   ré   sol      si   mi
      4/3  4/3  4/3           4/3
    luth Renaissance
    mi   la   ré      fa#   si   mi
      4/3  4/3           4/3  4/3

    Dans le premier cas, les consonances de la 3iè corde se rattachent aux graves et dans le deuxième, elles se rattachent aux aigues.

    Comme pour la gamme diatonique, le réglage mixte de la guitare ne peut se modéliser simplement. il y a potentiellement 6 variantes différentes de chaque note. Reconnaissons alors que l'accord de guitare s'écarte résolument de la "platitude" !

    J'ignore si le réglage égal est préférable à un réglage mixte pour la guitare. La question est personnelle jusqu'à un point. Le mieux est de chercher à l'oreille un réglage "heureux".

    Observation

    Le tempérament égal détruit toutes les consonances stables des premières harmoniques. En compensation, il réduit mesurablement la vitesse de battement de beaucoup de consonances instables qu'on note aussi dans les gammes "justes". On renonce au parfaitement juste pour réduire le manifestement faux.


    Le cas particulier des accords de Pico

    Le recueil de Pico est un des plus anciens répertoires d'accords de guitare. Il ne contient que des accords parfaits, des accords mineurs et des accords construits à partir de deux quartes successives. Ces accords sont tombés inexplicablement dans l'oubli aujourd'hui.

    Exemple: Sol4/5 est formé à partir de ré, sol et do.
    Un tel accord se comprend de trois manières.
    Racine Accord(s) moderne(s) apparenté(s)
    Ré7/4sus, Ré11
    sol Sol4sus
    do Do9

    Extrait du Tableau des consonances jusqu'à la 6iè harmonique
    
    

    accord gamme T1 H(T1) T2 H(T2) freq rapport fre. bat. Sol4/5 temp 7 2 0 3 2.9966 1.0011 0.4434 Sol4/5 temp 7 3 2 4 4.4898 1.0011 0.6644 Sol4/5 temp 7 4 0 6 5.9932 1.0011 0.8868 Sol4/5 diat 7 2 0 3 3.0000 1.0000 0.0000 Sol4/5 diat 7 3 2 4 4.5000 1.0000 0.0000 Sol4/5 diat 7 4 0 6 6.0000 1.0000 0.0000 Sol4/5 quar 7 2 0 3 2.9596 1.0136 5.3541 Sol4/5 quar 7 3 2 4 4.4394 1.0000 0.0000 Sol4/5 quar 7 4 0 6 5.9192 1.0136 10.7083 Ré4/5 temp 9 2 2 3 3.3636 1.0011 0.4977 Ré4/5 temp 7 3 2 4 4.4898 1.0011 0.6644 Ré4/5 temp 9 4 2 6 6.7272 1.0011 0.9954 Ré4/5 diat 9 2 2 3 3.3333 1.0125 5.5187 Ré4/5 diat 7 3 2 4 4.5000 1.0000 0.0000 Ré4/5 diat 9 4 2 6 6.6667 1.0125 11.0373 Ré4/5 quar 9 2 2 3 3.3296 1.0000 0.0000 Ré4/5 quar 7 3 2 4 4.4394 1.0000 0.0000 Ré4/5 quar 9 4 2 6 6.6591 1.0000 0.0000

    Parmi tous les accords qui admettent une formulation équivalente dans les gammes tempérée, de quartes et diatonique, l'accord 4/5 est, d'après ce tableau, très consonant à tempérament égal. Dans les autres gammes, ses consonances sont tantôt stables et tantôt fausses. Cet accord est réputé instable dans la théorie classique.

    Pour rester juste avec la gamme des quartes ou la gamme diatonique, il faut éviter certains accords dans certaines tonalités. C'est pourquoi on évoque, dans la théorie classique qui se réfère principalement au piano ordinairement réglé sur les quintes, la distinction entre la dièse et si bémol par exemple. Le guitariste qui joue plutôt la gamme à tempérament égal ignore généralement ce genre de distinction, non pas par mauvaise volonté mais simplement parce qu'elle est réellement sans objet pour son harmonie.


    L'examen systématique des intervalles chromatiques

    Extrait du Tableau des intervalles jusqu'à la 6iè harmonique
    
    

    accord gamme T1 H(T1) T2 H(T2) freq rapport fre. bat. fa-sol# temp 8 5 5 6 7.9370 1.0091 9.5085 fa-sol# diat 8 5 5 6 8.0000 1.0000 0.0000 fa-sol# quar 8 5 5 6 7.9012 1.0125 13.0813 fa-la temp 9 4 5 5 6.6742 1.0079 6.9844 fa-la diat 9 4 5 5 6.6667 1.0000 0.0000 fa-la quar 9 4 5 5 6.6591 1.0011 0.9847 fa-sib temp 10 3 5 4 5.3394 1.0011 0.7901 fa-sib diat 10 3 5 4 5.3333 1.0000 0.0000 fa-sib quar 10 3 5 4 5.3333 1.0000 0.0000 fa-do temp 5 3 0 4 4.0000 1.0011 0.5919 fa-do diat 5 3 0 4 4.0000 1.0000 0.0000 fa-do quar 5 3 0 4 4.0000 1.0000 0.0000 fa-do# temp 5 4 1 5 5.2973 1.0079 5.5435 fa-do# diat 5 4 1 5 5.3333 1.0000 0.0000 fa-do# quar 5 4 1 5 5.2675 1.0125 8.7209 fa-ré temp 5 5 2 6 6.6742 1.0091 7.9956 fa-ré diat 5 5 2 6 6.6667 1.0125 11.0373 fa-ré quar 5 5 2 6 6.6591 1.0011 0.9847

    En examinant systématiquement les intervalles isolés, on note que les intervalles inférieurs à la tierce mineure ne produisent aucune consonance meilleure que le quart de ton sur les 6 premières harmoniques. On note pareillement l'absence de consonance pour le triton.

    Autrement dit, pour fa par exemple, on note des consonances suivantes:

    sol#, la, sib, do, do# et ré

    soit

    tierce mineure, tierce majeure, quarte, quinte, quinte augmentée et sixte

    Note: La consonance de quinte augmentée sol# est absente du tableau pour do à cause du placement arbitraire des tons dans l'octave. L'examen des intervalles pour les références successives de do, fa et sol a pour but de démasquer ce défaut potentiel d'analyse. Il a aussi pour but de révéler l'effet des "coupures" nécessairement introduites dans les définitions des gammes de quartes et diatoniques.

    Extrait du Tableau des intervalles jusqu'à la 10iè harmonique
    
    

    accord gamme T1 H(T1) T2 H(T2) freq rapport fre. bat. fa-sol temp 7 7 5 8 10.4881 1.0182 25.3819 fa-sol temp 7 8 5 9 11.9865 1.0023 3.5533 fa-sol temp 7 9 5 10 13.3484 1.0102 18.0205 fa-sol diat 7 7 5 8 10.5000 1.0159 22.1482 fa-sol diat 7 8 5 9 12.0000 1.0000 0.0000 fa-sol diat 7 9 5 10 13.3333 1.0125 22.0747 fa-sol quar 7 7 5 8 10.3587 1.0297 41.4873 fa-sol quar 7 8 5 9 11.8385 1.0136 21.4166 fa-sol quar 7 9 5 10 13.3183 1.0011 1.9694 fa-si temp 11 5 5 7 9.3439 1.0102 12.5354 fa-si temp 11 7 5 10 13.2142 1.0102 17.7278 fa-si diat 11 5 5 7 9.3333 1.0045 5.4749 fa-si diat 11 7 5 10 13.1250 1.0159 27.6852 fa-si quar 11 5 5 7 9.3333 1.0033 4.0809 fa-si quar 11 7 5 10 13.1102 1.0170 29.6859 fa-mib temp 5 7 3 8 9.3439 1.0182 22.6127 fa-mib temp 5 8 3 9 10.6787 1.0023 3.1656 fa-mib temp 5 9 3 10 11.8921 1.0102 16.0545 fa-mib diat 5 7 3 8 9.3333 1.0286 35.8801 fa-mib diat 5 8 3 9 10.6667 1.0125 17.6597 fa-mib diat 5 9 3 10 12.0000 1.0000 0.0000 fa-mib quar 5 7 3 8 9.3333 1.0159 19.6873 fa-mib quar 5 8 3 9 10.6667 1.0000 0.0000 fa-mib quar 5 9 3 10 11.8519 1.0125 19.6219

    Armé des observations précédentes, on peut étendre la recherche jusqu'à l'harmonique 10 pour les intervalles auparavant non consonants. On note les consonances suivantes pour fa:

    sol, si, mib

    soit

    neuvième, quinte diminuée et septième de dominante

    Dans l'ensemble, on peut affirmer que ces consonances "repêchées" sont trop nerveuses pour être "jolies". Leur plus grand mérite serait de concerner des harmoniques hautes d'intensité faible et de pourvoir ainsi passer inapercues.

    Remarquons enfin les consonances qui manquent toujours à l'appel, toujours pour fa :

    fa# et mi

    soit

    neuvième diminuée et septième majeure

    Les guitaristes classiques du XIXè ont beaucoup usé des accords 7dom. Ensuite, on note l'utilisation fréquente, voire systématique, dans le jazz, d'accords 9b, 9, 5b, 5aug, 7dom, et 7Maj. L'oreille européenne qui a évité jusque là ces combinaisons s'est-elle mise soudainement à trouver jolies des consonances rugueuses? C'est une théorie qu'on ne peut tout à fait nier. On doit cependant admettre aussi que les "nouveaux" accords diversement étendus et altérés se basent sur des triades majeures et mineures où les intervalles peu consonants avec la tonique produisent bien dans la triade des consonances stables et paisibles avec la quinte ou la tierce !


    Quelques premières conclusions

    Cette étude des consonances est un peu décevante dans la mesure où elle ne révèle aucune consonance nouvelle qui aurait été ignorée des musiciens de la Renaissance tant occupés à jouer des accords parfaits. Elle est rassurante pour la même raison. Si on peut dire aujourd'hui que la quête ancienne de la gamme idéale est vaine en ce qui concerne la consonance parfaite, on doit aussi admettre qu'un vocabulaire de consonances diversement stables et nerveuses existe bel et bien depuis qu'on écrit la musique. La préférence donnée à la triade parfaite est en quelque sorte un mythe propagé par des théoriciens guidés, dans une mesure difficile à estimer, jusqu'au XVIIIè siècle finissant, par des directives issues de l'inquisition. Une certaine tradition d'école semble avoir "marché" avec ce mythe, depuis le XIXè jusqu'au jour d'aujourd'hui, sous couvert de "classicisme". Les compositeurs du XVIIIè, particulièrement soucieux de suivre des règles, méritaient sans doute un meilleur sort que celui que leur a réservé le conservatoire. Quelles que soient leurs qualités et leurs limites, ils ne revendiquaient certainement pas l'honneur de servir de référence définitive, absolue et ennuyeuse aux générations futures.

    L'innovation du jazz consiste simplement à généraliser l'usage d'extensions et d'altérations qui n'affectent pas de manière notable la qualité de la consonance globalement. Le jazz ouvre un espace nouveau dans la musique tonale où vont naturellement se représenter des idées nouvelles. Auparavant, on se limitait à quelques incursions sporadiques dans cet espace sans l'explorer. On a fini par s'apercevoir que cet espace ne se distingue réellement par aucune particularité sonore de l'espace cerné par les théories cartésiennes et le répertoire de Pico. [ Il y a bien d'autres théories plus anciennes et plus originales que celle décrite par un jeune Descartes "oisif". La théorie de Descartes est toutefois modernissime en ce sens qu'elle considère tout particulièrement l'angle de l'usage et évite ainsi l'égarement qui caractérise la plupart des théories purement mathématiques. ]

    Un apport de l'étude présente est qu'elle met directement en évidence les particularités des différentes gammes instrumentales d'usage courant. L'importance de cela n'est peut-être pas évidente et je peux la souligner en citant un pianiste formé à la musique classique jouant pour la première fois une partition de musette et qui déclare:

    "...les harmonies sont fausses !"

    Ce n'est pas de la mauvaise foi, ni même une appréhension naturelle et excusable face à une matière inconnue. C'est d'abord l'observation rigoureuse que la partition d'accordéon se fiche pas mal de l'existence au piano de tonalités où certains accords sonnent réellement faux. A moins d'explorer systématiquement les transpositions chromatiques, un pianiste classique peut très bien ignorer jusqu'à quel point le réglage du piano s'accorde avec un usage musical bien établi où tous les accords ne se jouent pas dans toutes les tonalités. Le guitariste et l'accordéoniste sont loin de se douter de la réalité des accords parfois odieux du piano.

    Cette étude permet aussi d'aborder timidement la question de la justesse du chant. Il me semble assez évident qu'un choriste va naturellement et automatiquement trouver la meilleure consonance possible. Le choix du battement paisible ou nerveux s'opère librement selon les besoins musicaux de l'instant. La nécessité de définir rigoureusement une gamme et de la mettre en oeuvre avec un grincement involontaire occasionel ne concerne que l'instrumentiste. Il faut affirmer que le chant n'utilise aucune de ces gammes. C'est ce qui explique en partie l'observation faite par un arrangeur qui travaille avec les fichiers MIDI:

    "On a beau choisir le timbre 'flûte' du synthétiseur, le quatuor de flûtes à bec ne sonne pas comme il devrait."

    En effet, les quatuors de flûtes usent de multiples gammes et tout se passe comme si chaque consonance était librement choisie. Les vraies flûtes sont beaucoup plus "chantantes" que ne laissent entendre la plupart des synthétiseurs réglés sur un tempérament strictement égal.

    La guitare est ambivalente à cet égard: On peut certes "rectifier" par le jeu et au vol certaines consonances trop nerveuses. Mais le fait-on ? Très honnêtement, j'en doute ! Je ne dirai pas qu'on ne le fait jamais mais il est presque certain qu'on ne le fait pas toujours !

    Il me semble qu'en réglant la guitare sur les harmoniques de quarte, on rejoint, au moins par l'esprit, le réglage du piano. J'ai évoqué les possibilités qu'on peut envisager sous cet angle à propos de l'accord moderne (qui est essentiellement l'accord de la guitare espagnole ancienne à 5 choeurs) et de l'accord du luth de la Renaissance (à 6 choeurs). L'avantage de ces réglages mixtes où chaque corde décline une gamme à tempérament égal partant d'un réglage par quartes est que certaines consonances sont parfaites. Les similitudes avec les choeurs de flûtes à bec sont grandes et évidentes.


    Généraliser la gamme aux intervalles continus

    Jusqu'ici mon explication reste très classique en ce sens que la gamme est considérée comme une donnée somme toute arbitraire. La gamme est certes motivée par l'espoir d'y rencontrer des belles consonances mais ce critère s'avère flou. L'ultime justification pour une gamme réside seulement dans son succès. Le musicien veut seulement savoir ce qu'il peut faire avec sa gamme.

    Le modèle ici n'est pas la gamme mais la procédure empruntée pour l'étudier. En termes musicaux, la gamme à tempérament égal est un découpage régulier de l'octave. En termes de procédure, c'est simplement un découpage régulier d'un intervalle quelconque. Il suffit, pour entrer dans la modélisation proprement dite, de définir des paramètres qui reflètent ce que la procédure est sensée révéler (la consonance) et qui sont susceptibles d'être traduits en une représentation facile à déchiffrer, à savoir, un dessin.

    x est l'intervalle entre deux tons
    y est un degré harmonique d'un ton de l'intervalle

    Le dessin au point (x,y) est un cercle dont le diamètre varie inversement avec la fréquence de l'harmonique fh et la fréquence du battement fb. Le diamètre dans le modèle est proportionel à 1/(fh+fb). A ce point précis du développement du modèle, il importe peu de savoir si la "vraie" formule est de cette nature. Il suffit que la formule ne contredise aucune des suppositions laborieusement vérifiées déjà au cours de l'étude de tableaux. Pour que le modèle soit plausible, il faut enfin que le dessin produise un sens, c'est à dire qu'il soit immédiatement lisible.


    Spectres des consonances

    Je qualifie l'image qui suit de "spectre". Ce n'est pas tout à fait abusif puisque les trajectoires verticales correspondent aux lignes spectrales affectées par la consonance d'harmoniques séparées de moins d'un quart de ton. Les harmoniques sont issues de deux tons différents. C'est un peu abusif car ces images réhaussent des traits que le spectre classique tend à masquer !

    "Paysage consonant" serait peu-être un meilleur terme, provisoirement. En effet, un dessin de ce genre n'a pas a proiri plus de sens pour nous que n'en a un massif montagneux vu d'avion où l'image est nette mais seule la science permet de l'interpréter. Pour celui qui programme des images de synthèse, c'est un peu différent: le sens de la polyphonie est manifeste dans l'émerveillement mais la représentation spatiale de ce sens est totalement inconnue. Le seul espoir est de chercher à tâtons jusqu'à ce qu'on trébuche par hasard sur une image qui titille le regard. Le succès d'une formule, c'est d'abord "l'espoir d'un succès entrevu".

    Mon modèle en est à ses premier balbutiements ineptes. Il manque encore des parts de mise au point et d'interprétation. Quant à la grosseur du trait, elle est à la mesure de l'absence de moyens graphiques dans mon antique portable msdos, largement suffisant pour l'instant !


    Image d'intervalles continus

    intervalle continu calculé par pas de 0.1

    intervalle continu do-do-do calculé par pas de 0.1

    [ Rappel: la gamme chromatique tempérée va par pas de 1 ]

    On voit maintenant le développement régulier du spectre des consonances sur des intervalles quelconques.

    La ressemblance avec les fractales

    L'accroissement de l'intervalle révèle une succession de motifs similaires mais différents.

    Certaines caractéristiques sont partagées par les fractales : le choix d'une échelle plus petite fait apparaître des détails nouveaux. Il y a des motifs récurrents sans être identiques. Il se passe des choses "intéressantes" dans le voisinage d'une frontière qui n'est pas différentiable.

    Ces dessins semblent illustrer un paragraphe de The Fractal Geometry Of Nature où Mandelbrot explique que les fractales sont la face géométrique de l'analyse harmonique. Il n'élabore pas, soulignant que le propos du livre est ailleurs et que les fractales et l'analyse harmonique ont chacune un goût particulier.

    L'hypothèse de Mandelbrot est que les formes "monstrueuses" sont une caractéristique importante de la nature. Si la ligne droite (ou au moins la ligne différentiable) montre un chemin court entre deux points quelconques, la nature emprunte souvent un chemin fractal. C'est plus long et plus difficile à décrire mais c'est comme ca.

    C'est bien sûr que les harmoniques sont un aspect "naturel" de l'expérience tonale. Il me semble qu'avec des sons de synthèse dont les spectres ne suivraient pas une série harmonique, il serait possible de définir une musique semblable à la musique tonale mais avec des caractéristiques nouvelles. Cette musique pseudo-tonale serait radicalement différente et probablement méconnaissable, surtout si elle prétendait résoudre les "problèmes" posés par les gammes.

    On voit très clairement que les consonances sur plusieurs octaves sont différentes. La douzième est très différente de la quinte par exemple. Le parti pris dans le jazz de définir les accords sur deux octaves au lieu d'une est donc fondé sur la nature du phénomène de la consonance et non sur la volonté de faire compliqué.

    Le principal apport de cet article aux études d'harmonie consiste à montrer la texture de la matière consonante dans son ensemble. Les présentations courantes de l'harmonie (du moins celles que j'ai lues) cernent bien le rôle joué par les harmoniques dans la consonance "parfaite" mais évitent (unanimement) d'aborder les autres phénomènes. C'est assez regrettable car les consonances se rangent pour la plupart parmi ces autres phénomènes ! Les regrets ne donnent aucune satisfaction à la longue et c'est la raison pour laquelle je partage cet article avec vous. Mais je n'ai peut-être pas cherché au bon endroit et je ne serais pas surpris d'apprendre que des idées similaires ont déjà été avancées par d'autres avant moi car elles semblent boucher un trou manifeste dans les théories tonales issues des gammes. L'originalité n'est pas une vertu : au mieux, c'est un pur hasard et, au pire, une simple maladresse.

    Les gammes ne sont pas sensées satisfaire à des critères rationels comme on l'a d'abord cru au moyen-age. Le rationel est seulement le moyen le plus plausible pour fabriquer les gammes. Une fois réalisées, elles doivent leur survie dans la musique au fait qu'elles épousent une matière tonale fractale qui existe indépendamment. Ces choses deviennent plus claires quand on peut tout voir en même temps dans le même modèle.


    Annexes

    Programmes

    Le programme en tant que représentation possible de certaines idées est un point important qui rapproche cette étude du dessin de fractales. C'est pourquoi je vous donne aussi le code. Libre à vous de vous en inspirer, de vous en écarter ou de l'ignorer complètement !

    Je donne plusieurs versions du programme BASIC écrit en même temps que l'article. Mon propos n'étant pas de proposer une application, je n'ai pas peaufiné. Ecrit à la volée, le code est à peine lisible mais c'est tout ce que j'ai. Je vous le déconseille franchement si la programmation ne vous est pas assez familière pour en tirer rapidement les traits essentiels.

    Programme servant à faire des tableaux
    Programme servant à faire des dessins
    Programme servant à faire des dessins


    Une variante simple du modèle

    Toutes ces idées concernant la nature physique du ton et la perception de la consonance sont prises en compte dans le "paysage consonant" qui est l'objet de cet article. Le dessin du paysage résume tout cela d'une manière assez complète. Cependant, un bon résumé ne donne pas de détails et le jeu est d'abord une affaire de détails ! On voudrait par exemple savoir quelle est la "température" des divers points chauds. Voici une étude de caractère un peu différent et qui répond à cette question. Elle est assez grossière mais elle a le mérite d'être simple et claire. Il s'agit de classer les combinaisons de deux tons selon la "chaleur" de leurs consonances. C'est une chose que le dessin principal traduit par le diamètre des cercles qu'on ne perçoit qu'assez indistinctement.

    La qualité des diverses consonances a déjà été évoquée dans les différents tableaux de cette page mais il faudrait encore souligner l'importance que peut avoir cette variété. En effet, il me semble évident que l'harmonie n'est pas le résultat de la recherche des combinaisons les plus consonantes mais plutôt de l'alternance entre les consonances les plus vives et les plus ternes. Autrement dit, l'harmonie joue aussi sur les contrastes.

    La méthode pour ce classement consiste à déterminer les plus petits indices harmoniques possibles qui produisent une consonance pour chaque combinaison de tons jouée dans les accords courants. La "température" est estimée par le produit des indices. Plus le produit est petit et plus la température est élevée. Rappelons que cette estimation est grossière aussi par le fait qu'elle ne tient pas compte des effets se produisant dans les "profondeurs" harmoniques.

    accord intervalle harmonique 1 harmonique 2 produit de h.1 et h.2
    unison 1 1 1
    octave 2 1 2
    quinte 3 2 6
    grande dixième
    octave+tierce majeure
    5 2 10
    quarte
    quinte-octave (inversion)
    3 4 12
    sixte
    tierce mineure-octave (inversion)
    3 5 15
    tierce majeure
    diton
    5 4 20
    onzième
    octave+quarte
    8 3 24
    septième de dominante 7 4 28
    tierce mineure 6 5 30
    quinte diminuée
    triton
    7 5 35
    neuvième 9 4 36
    petite sixte
    tierce majeure-octave (inversion)
    5 8 40
    petite dixième
    octave+tierce mineure
    12 5 60
    seconde 9 8 72

    Ces estimations sont un peu grossières car elle supposent que les tons se jouent exactement sur les points chauds. Or nous savons que la tierce majeure de la guitare s'en écarte un peu et que la septième de dominante s'en écarte sensiblement.

    Ce "hit-parade des consonances" nous donne néanmoins quelques indications importantes. La tierce majeure et la tierce mineure par exemple ont un rang assez voisin alors que la grande et la petite dixième sont aux bouts opposés du tableau. Ceci expliquerait assez bien pourquoi les enchainements de dixièmes (où majeures et mineures alternent) semblent plus pétillants que les mêmes joués sous forme de tierces.

    Ce classement est basé sur le fait que les harmoniques hautes sonnent plus faiblement et produisent donc des consonances d'intensité plus faible. Autrement dit, une paire située à la fin du hit-parade ne produit pas une "mauvaise consonance" mais plutôt une combinaison neutre, sans effet remarquable.


    Envoi

    Voilà. J'espère que cette présentation apporte quelques idées vraiment simples à une matière réputée intraitable. Il ne s'agissait d'abord pour moi que d'une idée pour illustrer un sujet extrêmement mineur de ma méthode de guitare et j'ai été surpris par la tournure que les choses ont prise. Si la narration semble hésitante en bien des points, c'est sans doute parce que je suis vraiment dépassé par tout ça. J'espère qu'il y a quand même quelques passages lisibles et je vous remercie de votre patience !

    Randy Ayling
    guitariste
    Crest
    juillet 2002


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