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Créer la documentation ne va pas sans s'interroger sur l'utilité de l'hypertexte à l'école. Ce sujet est assez brûlant pour mériter un développement ici où j'évoque l'hostilité que rencontre à l'école l'incongruité, le non-sens et l'indépendance.

Considérons la question posée par l'élève qui consulte, à l'école, un un cd consacré aux oiseaux et qui s'étonne à haute voix, au bout de quelques minutes, de ne pas y trouver de références aux lions. Cette question suggère, à l'enseignant qui rapporte la scène, que les nouvelles technologies à l'école échouent en ne conduisant pas l'élève dans une certaine direction. Il me semble que c'est mal comprendre à la fois la mise en oeuvre de ces technologies et le rôle même joué par le document.


La recherche

"Pourquoi le cd sur les oiseaux ne me parle-t-il pas des lions ?" Cette question stupide indique de prime abord une profonde incompréhension de l'exercice "consultation du cd-rom". Mais il peut s'agir d'autre chose. La question sort des sentiers battus que le cogniticien Edward de Bono appelle les "autoroutes de la pensée" et qui empêchent les sauts du coq à l'âne parce qu'on va si vite qu'on ne remarque même pas la présence des chemins latéraux. Edward de Bono met encore à contribution sa fameuse plaque de cire où les autoroutes sont figurées par les traces les plus larges et les plus profondes laissées par l'ensemble des empreintes passées. L'enfant pense peut-être latéralement simplement parce que ses "autoroutes" ne sont pas encore très développées.

Le chemin improbable que Edward de Bono nomme "pensée latérale" met à profit deux mots sans lien raisonnable évident entre-eux pour aller à la recherche de sens possibles.

La recherche simultanée dans le web des clefs "oiseau" et "lion" fournit des réponses de cette nature en grand nombre. Selon Edward de Bono cette démarche est créative. Le moteur de recherche est un outil de créativité.

Et le cd ? Un hypertexte restreint sur un cd par exemple peut mimer très modestement le moteur de recherche du web en présentant un index alphabétique détaillé où il est possible de suivre le saut créatif ou l'inspiration subite. On peut aussi savoir, en consultant l'index, qu'il n'y a pas d'informations sur tel sujet. Si le cd ne présente aucun index, on peut utiliser un outil de recherche local au disque dur pour arriver au même résultat.

Dans le web, une page concernant les oiseaux est souvent associé à un tableau synoptique d'ordre différent, concernant l'Afrique par exemple, et l'enfant est effectivement vite conduit aux lions. Les structures arborescentes de l'hypertexte sont tout à fait capables de suivre l'esprit dans une série de bonds latéraux qui conduisent à la solution d'un problème à la vitesse fulgurante illustrée par Edward De Bono dans l'expérience de la plaque de cire rapportée à la reconnaissance des formes.

Avec le web, la question stupide en apparence ne serait pas posée parce que la réponse serait trouvée - bonne ou mauvaise ! Le seul vrai problème avec le web serait d'éviter au pauvre enfant de se retrouver, au terme d'une série de sauts créatifs, plongé pour longtemps dans un jeu vidéo quelconque.


Le savoir utile

La question posée par l'enfant dénote peut-être simplement son état de torpeur profonde. Le cd ne l'intéresse peut-être pas. L'hypertexte ne peut résoudre le problème de l'enfant qui n'attend rien de particulier de sa consultation. Le livre non plus d'ailleurs ! Selon Terry Mayes, l'un des premiers chercheurs dans le domaine de l'hypertexte, on consulte plus volontiers le contenu qui semble de quelque utilité immédiate. L'ouvrage rencontré à l'école ne présente pas toujours cette qualité de manière évidente. Terry Mayes introduit ce critère avec le jeu suivant: regardez, sans la toucher, la face d'une pièce et dessinez ce qui se trouve sur le revers.


Qu'il y a-t-il sur le revers?

Vous constaterez que vous n'avez qu'une très vague idée de ce que le revers peut bien contenir, bien que vous l'ayez vu des milliers de fois. Explication: il est parfaitement inutile de se rappeler les détails de la pièce. Il suffit, au quotidien, d'en savoir assez pour la reconnaître. Les détails ne représentent pas un savoir utile. Ceci explique pourquoi il est généralement impossible d'apprendre les noms des rivières que des générations de maîtres d'école cherchent pourtant depuis des décennies à faire ingurgiter aux élèves. Ce savoir n'est d'aucune utilité concrète immédiate aux élèves. L'apprentissage des noms des rivières n'a donc pas lieu, si l'on en croit le témoignage de la plupart des adultes. La technologie de l'information - si engageante et vivante qu'elle soit - ne va pas rendre plus accessible ce qui semble inutile.


Conclusions

Edward De Bono, que j'ai beaucoup cité, affirme que le système éducatif vise à développer les autoroutes et à décourager la créativité - et qu'il serait souhaitable de changer en profondeur notre idée de l'éducation. Je plaiderais aussi pour l'abandon du système unique au profit de systèmes non-exclusifs multiples.

Terry Mayes, quant à lui, associe l'apprentissage à une pratique. La pratique peut être la résolution d'un problème, la recherche d'une réponse à une question. La lecture pure et simple d'un hypertexte constitue-t-elle une pratique? Non, conclut-il, car "c'est celui qui écrit l'hypertexte et non celui qui le lit qui effectue un réel apprentissage." Si vous adoptez cette formule, elle colore toute votre approche de l'hypertexte. Si la technologie n'engage pas l'élève, alors, elle n'a pas sa place à l'école car elle n'est pas un outil pour apprendre. Engager l'élève, c'est lui permettre de désigner une chose issue de cette technologie en disant: "J'ai réalisé ça."


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