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Sommaire / Guitare / Techniques / Systèmes de notation et jeu

La guitare est unique en ce qu'elle a ses propres systèmes de notation musicale. L'un de ces systèmes, la grille d'accords, est particulièrement signifiant quant à la conception du jeu.

Systèmes de notation

Il existe plusieurs systèmes de notation pour la main gauche de la guitare. Les plus anciens sont les tablatures de luth espagnoles (ou anglaises) où sont notées toutes les positions successives des doigts sur la touche. Ce système est polyvalent et convient autant pour les harmonies que les mélodies. A partir de la fin du XVIè siècle, on découvre les grilles italiennes où ne sont notés que des symboles d'accords convenus. La portée musicale est également utilisée à partir du XVIIIè siècle mais elle se traduit aisément en tablature de luth et on s'en éloigne un peu à partir de la fin du XXè siècle. Des variantes de tous les systèmes se rencontrent couramment aujourd'hui.

Le système de notation n'est pas neutre

Les deux sortes d'écriture ne sont pas interchangeables et représentent des façons radicalement différentes d'aborder la musique. La tablature permet en principe de rendre un enregistrement exact du jeu réel, tous styles confondus. La grille d'accords tend à rendre ce qui se passe dans la tête du guitariste.

La grille d'accords est spécifique à la guitare. Elle est diversement appréciée. D'aucuns prétendent qu'elle ne vaut pas les "vraies notes". D'autres affirment qu'elle retient l'essentiel, laissant à l'improvisation la part qui lui revient.

La grille italienne, bien que plus récente que la tablature, indique généralement pour les doigts de la main gauche les positions de base, génératrices de toutes les autres.


Le style italien

La guitare a, dès la Renaissance, une solide réputation d'instrument dont on joue sans rien connaître à la musique. On lui reconnait aujourd'hui encore cette qualité qui en fait l'instrument populaire par excellence. La grille est le reflet de cela. En se servant d'un répertoire de gestes très restreint, le guitariste accompagne l'air du jour. Le guitariste apprend un air mais aussi - et avant tout - une structure d'accords qui sous-tend cet air. En "grattant" régulièrement avec la main droite, on accompagne ainsi sans savoir grand chose. C'est sans ambition peut-être mais, bien souvent, c'est remarquablement adéquat. C'est une invention espagnole (Juan Carlos Y Amat, vers 1595) que les espagnols ont appelé le "style italien" et qu'on appelle aujourd'hui le "style gratté".

Une liste d'une vingtaine d'accords dans l'ordre de fréquence décroissante, qui groupe les accords qui se rencontrent ensemble, forme la base de la grille italienne. Il s'agit d'un répertoire de positions sur le manche qui est suffisant pour tout accompagner.

Quand les changements d'accord se produisent en mesure, les grilles italiennes donnent certainement les rendus les plus lisibles des structures musicales à l'échelle du morceau entier.


L'effet de la notation italienne sur la conduite de la mélodie

Voici une illustration montrant comment l'accord de guitare est toujours présent dans le jeu et affecte les doigtés - même quand on ne le joue pas.

Ex : Summertime (premières mesures)

accompagnement
             Lam   Mi    Lam        Mi7        Lam

------------ 0 --- 0 --- 0 -------- 0 -------- 0 --------------
------------ 1 --- 0 --- 1 -------- 3 -------- 1 --------------
------------ 2 --- 1 --- 2 -------- 1 -------- 2 --------------
------------ 2 --- 2 --- 2 -------- 2 -------- 2 --------------
------------ 0 --- 2 --- 0 -------- 2 -------- 0 --------------
------------------ 0 -------------- 0 -------------------------

mélodie
             Lam   Mi    Lam        Mi7        Lam

--- 0 ----- 0 ------------------------ 0 ----------------------
------- 1 ---------------- 3 - 1 - 3----- 1 -------------------
--------------------------------------------- 2 ---------------
------------------------------------------------- 2 -----------
---------------------------------------------------------------
---------------------------------------------------------------

Les doigtés indiqués pour la mélodie ne sont pas les seuls qui soient pratiques et faciles. Ils sont choisis avant tout, en l'absence d'autres considérations, parce qu'ils sont aussi les doigtés d'accords. Ainsi, la mélodie se joue chaque fois que possible dans la position exacte pour l'accord, ce qui découle directement de l'observation que l'accord contient beaucoup de notes de la mélodie. Cette approche facilite grandement l'improvisation. Cette approche ne convient naturellement pas quand on souhaite une mise en voix spécifique.

Une mélodie basse s'intègre parfois aussi à l'accompagnement : la conduite de la basse et des accords en même temps en pinçant les cordes avec les doigts de la main droite peut réclamer des doigtés inhabituels à gauche. On fait alors appel à une tablature détaillée.

grille                Lam6      Mi        Lam6      Mi

tablature       --------------------------------------------------------
                ---------- 5 ------- 0 ------- 5 ------- 0 -------------
                ---------- 5 ------- 1 ------- 5 ------- 1 -------------
                -----------4---------2-------- 4 ------- 2 -------------
                ----- 0 ------- 2 ------- 3 ------- 2 ------------------
                --------------------------------------------------------
doigté (basse)        0         2         1         2

Pour jouer cette basse, on est amené à former l'accord "Lam" dans une position inhabituelle, chose qu'une simple grille ne montre pas. La figure de basse indiquée est certes intéressante mais le guitariste qui n'aura retenu que "Lam Mi7" en jouera une autre qui convient aussi bien.

S'il faut ne retenir qu'une seule chose, c'est bien le simple symbole italien. La connaissance des accords dispense le guitariste de calculs combinatoires savants pour trouver la mélodie. La guitare calcule en quelque sorte pour nous les intervalles voulus.


La composition des accords italiens

Les méthodes donnent les mêmes positions de base avec les mêmes doigtés depuis plusieurs siècles. Chaque position a un nom représenté par un symbole et la musique de guitare s'écrit simplement comme un enchainement de symboles. Pour des raisons qu'il faut chercher dans les théories musicales de la Renaissance (et qui sont détaillés dans le cdrom), on n'a d'abord retenu que quelques combinaisons de tons parmi des millions de possibilités. C'est totalement arbitraire, sans doute, mais gérable. Il s'agit de 12 accords majeurs et 12 mineurs, un pour chaque pas de la gamme chromatique.

Les accords de base correspondent à des entités abstraites, issues d'un système de calcul des hauteurs relatives des notes selon une théorie de l'harmonie qui en vaut une autre. Puisqu'il y a trois tons par accord, on les appelle les accords tritoniques. Pour en faire des accords de guitare, il a suffi de rechercher les tons voulus sur le manche (sans tenir compte des octaves) de telle sorte qu'en frappant ensemble toutes les cordes, l'accord se fait entendre.

La recherche d'une mise en voix particulière avec des hauteurs absolues tenant compte des octaves s'appelle "inversion" de l'accord. On s'est rendu compte que cette recherche est inutile dans un premier temps pour les besoins de l'accompagnement : il suffit de toujours prendre ce que la guitare donne le plus simplement.


Le développement du style "gratté"

Inversions

Les accords de base sont bien sûr des mises en voix très précises. L'instrument lui-même est capable de plus de variété.

Ex. Mim

L'accord Mim par exemple se transpose et s'inverse de différentes façons à la guitare. Citons, sous forme de tableau :

       Mim     Mim     Mim     Mim     Mim     Mim
-------0---------------3-------3-------7-------12-------
-------0---------------0-------5-------8-------12-------
-------0-------0-------0-------4-------9-------12-------
-------2-------2-------2-------5-------9----------------
-------2-------2-----------------------7----------------
-------0-------3----------------------------------------

L'accord Mi mineur a plusieurs formes comprenant toujours au moins un mi, un sol et un si. On n'utilise pas toujours toutes les cordes. Le guitariste est naturellement libre de "répondre" au symbole italien par la forme qui lui convient. La première mise en voix sur deux octaves du tableau ci-dessus s'impose toutefois par sa facilité.

Arpèges

L'arpège se joue en faisant sonner les cordes (par l'action de la main droite) l'une après l'autre "à la manière de la harpe". Cette technique diversifie le son de l'accompagnement d'une manière spectaculaire. Et elle est facile : dans l'usage courant, le pouce de la main droite démarre sur une basse et les autres doigts de la main droite suivent, chacun jouant une corde, toujours la même, indépendamment de l'accord joué à gauche. La texture introduite par l'arpège réduit considérablement la monotonie qu'on ressent parfois en "grattant". Surtout, en combinaison avec la mélodie jouée sur un autre instrument, l'arpège produit une ébauche de polyphonie - à peu de frais !

Extension des accords de base

On ne se contente pas de jouer les seuls accords tritoniques. On ajoute un quatrième ton (ou plus) pour la couleur. Ainsi chaque accord de base donne lieu à une famille. Exemple : Mi7M, Mi7, Mi6, Mi5+, Mi5-, Mi4sus, Mi9+, Mi9, et Mi9- incluent tous le "mi majeur tritonique".

On s'aperçoit alors que certains accords ont deux noms. Exemple : Sol6 et Mim7 sont tous deux compsés des tons sol, si, ré, et mi. Le jeu de l'extension conduit ainsi directement au jeu de la substitution.

Les accords étendus "explosent" la théorie de l'harmonie de la Renaissance. Ça a ceci de bon que le système de notation incontestablement agréable et pratique ne débouche pas nécessairement sur un son convenu (ou "carré" ou "pédestre", comme disent les anglais). Quand on voit un nom barbare comme "La7b9", on parle d'accord de jazz - mais toutes les musiques peuvent utiliser cet accord qui n'est pas pire qu'un autre quand le contexte s'y prête. On a défini dès la Renaissance l'accord "4sus" par exemple qui fait aujourd'hui figure d'accord de jazz. Et il ne faut pas hésiter à se lancer dans l'apprentissage des accords de jazz car ils sont bien souvent plus faciles à placer que les accords dits "de base". Il y en a un grand nombre mais quelques-uns seulement suffisent pour "pimenter" le jeu. Nous avons une certaine habitude des accords complexes - au point où certains compositeurs ajoutent aujourd'hui un "delta" (un triangle équilatéral) après le nom de l'accord pour signifier qu'ils veulent vraiment l'accord tritonique et non l'accord étendu que nous ne manquerions pas de lui substituer !


Mélodies

La grille d'accords ne sert naturellement pas à écrire les mélodies. La musique de guitare qui développe une simple mélodie est assez rare mais elle existe. C'est déjà évident : la tablature est le meilleur moyen de représenter cela.

Rencontres

Quand on accompagne la musique d'autres instruments, on cherche dans les hauteurs successives des notes de la mélodie des combinaisons tritoniques. C'est l'idée que la guitare passe inaperçue si elle s'accorde avec la mélodie. Cette recherche de conformité est parfois sans objet : dans le blues par exemple, la mélodie seule donne très peu d'indices concernant l'accord d'accompagnement. Pour produire un fond sonore, les enchainements d'accords de guitare suivent un plan simple et régulier et présentent une certaine logique propre. La guitare d'accompagnement ne fait pas de vagues. Pour que cet accompagnement réussisse, il faut naturellement que la mélodie "veuille bien". En général, la mélodie tolère l'accord de guitare quand elle est issue d'une tradition où la guitare existe.

Il faut s'attendre à rencontrer des musiques où l'accord de guitare tritonique n'a aucun sens. Ces musiques sont assez rares dans la tradition européenne depuis le XVè siècle mais elles existent. Elles sont courantes dans les traditions africaines et orientales. Ces musiques s'accompagnent éventuellement à la guitare par d'autres moyens (des mélodies ou des bourdons).

L'accord de base est loin de représenter l'harmonie généralement. En utilisant l'accord étendu ou en changeant souvent, on affine l'approche au prix d'une certaine complexité de la notation et du jeu. La grille d'accords représente une certaine concption de la musique.


Polyphonies

Quittons le domaine de l'accord pour examiner d'autres possibilités de la guitare, toujours en faisant sonner plusieurs cordes en même temps. La grille italienne ne convient pas pour la polyphonie en tant qu'association de plusieurs mélodies indépendantes.

Il est presque toujours possible de reproduire exactement à la guitare des compositions pour quelques voix humaines : les nombreuses tablatures de la Renaissance en témoignent. Cependant la reproduction exacte peut être un exercice stérile. Même si on reproduit tous les sons, la musique échoue parfois pour deux raisons.

  1. Un seul guitariste ne peut reproduire le dynamisme de plusieurs chanteurs ou de plusieurs joueurs d'instruments à vent.
  2. Les gestes sont si difficiles par endroits que le guitariste les exécute mécaniquement et sans subtilité. Le mouvement musical est passé au hachoir et en ressort sinistre et sans vie.

Il est parfois possible de rendre approximativement l'harmonie polyphonique à la guitare par des accords. L'étude de tablatures de la Renaissance suggère que cette approche est beaucoup plus ancienne que les grilles italiennes proprement dites. Plusieurs voix "accrochées à des accords virtuels" ont parfois de bien meilleures chances de survie à la guitare que "flottant librement".

On devrait parler de la polyphonie propre à la guitare.


Conclusion

Les grilles italiennes de base définissent pour le guitariste un jeu minimal et facile à gauche. A droite, le "style gratté" est facile par définition : "'y a qu'à taper !" Ces deux facilités conspirent pour favoriser l'intuition et la musicalité du jeu.

On renseigne de façon plus détaillée au moyen de tablatures. On voit cependant que la tablature inclut presque toujours une grille, parfois imaginaire, sauf quand elle représente une musique à laquelle la guitare est totalement étrangère.

Le symbole d'accord apparaît tardivement. Il représente l'aboutissement et l'apogée du développement de l'écriture pour la guitare autant que le pis aller limité mais rapide et bien pratique dont nous ne nous vantons guère. Le guitariste qui affirme humblement "qu'il sait seulement gratter quelques accords" peut aisément jouer des mélodies. Et la grille donne généralement encore quelques clefs du mouvement, même quand on se livre aux complexités de la tablature polyphonique avec le "style pincé".

Si la musique de guitare était un arbre, la tablature représenterait les feuilles et la grille, le tronc.


Le jeu de la main droite

La main droite est le siège de l'intuition et, une fois qu'on a décrit les mouvements de base, on se garde de pousser très loin l'analyse. Il y a cependant une variété étonnante de techniques détaillées dans le cdrom. Je me contenterai ici de quelques-unes.

Le médiator

On frappe les cordes avec un bout de plastique tenu entre le pouce et l'index. [ On peut aussi faire semblant de tenir le médiator et frapper avec l'ongle de l'index, ce qui revient presque au même. ] On frappe une seule corde à la fois (mélodies) ou plusieurs en même temps (accords). On peut frapper à l'aller et au retour. Ce qu'il est important de savoir, c'est que, la main étant libre (sans autre point de contact avec la guitare), le mouvement part du poignet. Les doigts n'y sont pour rien. Le rythme naît naturellement du battement souple et régulier du poignet.

Les doigts

On frappe les cordes avec l'ongle. On se sert du pouce (p), de l'index (i), du majeur (m) et de l'annulaire (a). L'auriculaire ne sert pas. Encore une fois, la main n'a pas d'autres points de contact avec l'instrument. La frappe pincée, généralement utilisée pour la polyphonie, est vers le bas pour le pouce et vers le haut pour les autres doigts. Chaque doigt frappe une seule corde à la fois. Le doigt frappe en s'écartant des cordes (au lieu de buter contre la corde suivante). Ce qu'il est important de savoir, c'est que le mouvement part des doigts. Idéalement, le poignet est immobilisé par son tonus (sans être crispé) et le dos de la main ne bouge guère pendant qu'on joue. Le rythme naît de l'alternance régulière entre les doigts. Exemples : "p i m a p i m a..." (arpège) ou "i m i m i m..." (mélodie). On fait sonner l'accord en frappant avec plusieurs doigts en même temps.

Comparaison

Du fait de la multiplication des acteurs (quatre doigts au lieu d'un seul) le style pincé donne lieu à une autre musique que le style gratté. La grille d'accords ou la mélodie simple peuvent se rendre avec l'une ou l'autre technique. Le style pincé s'impose pour rendre la polyphonie (plusieurs mélodies simultanées).

Ce serait toutefois une profonde erreur de penser que le style pincé est supérieur. Le rythme du poignet a une vigueur naturelle dont les doigts sont incapables sans beaucoup d'exercice. La guitare s'est imposée dans les bals populaires partout dans le monde au XXè siècle grâce au médiator qui donne toujours assurance et certitude au danseur. Pensez au musette, au blues et au rock !

Conclusion

Dans la chronologie européenne du luth et de la guitare, la tablature et le style pincé apparaissent les premiers. L'invention tardive de la grille et du style gratté, loin de conduire à un appauvrissement (comme on le dit trop souvent), amène au contraire une diversification du jeu.


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